Bruits et beuveries.

La Taverne était pleine. Marchands, petits commerçants, filous, informateurs, clients, beaucoup étaient présents ce soir là. Avoir une conversation discrète relevait de l’impossible, tant régnait une atmosphère étouffante, un bruit continu, soutenu par les cris d’ivrognes notoires qui, s’ils n’avaient pas dépensés autant d’or en boisson, se seraient retrouvés rapidement dehors, emportés par la Garde personnelle de la Guilde des marchands, qui veillait au bon déroulement de toute activité, notamment dans la Taverne. Mais ces ivrognes ne cassaient rien, pour l’instant en tout cas.

On parlait ici de l’avenir de l’élevage de poulets, là des sommes, ô combien importantes, à souscrire pour pouvoir assurer sa marchandise lors d’un voyage vers des ports lointains dans un but commercial, malgré les dépenses importantes des Marchands en terme de sécurité, dans le but de réduire le nombre de navires commerciaux, attaqués, pillés puis coulés, par des pirates sans foi ni loi.
Plusieurs tables étaient en train de prendre un repas. On distinguait d’ailleurs aisément, rien que par la composition des repas, la situation de chacun. Les plus petits commerçants ne disposaient que d’une assiette en terre, d’un verre du même matériau, et d’une nourriture peu raffinée, bien quelle aurait convenue à la plupart des seigneurs présents. Une sorte de ragoût de viandes diverses, des patates, et une sauce, apparemment un mélange de lait, de beurre et d’épices. Tandis que les plus riches avaient devant eux une vaisselle de qualité, et une nourriture raffinée, de petits morceaux de viande dans des feuilletés aromatisés avec des alcools exotiques, coûtants relativement cher.
Une table, la plus grande, était réservée à l’usage des principaux Marchands de la Guilde. Nul n’y était assis, les Marchands devaient sûrement être soit en mission diplomatique ou commerciale, soit en train de travailler dans leurs bureaux, soit dans les caves, à prendre l’apéritif. Cette table était la seule à disposer d’une nappe, les autres étant seulement pourvues de sets de tables en osier grossier. Des vases étaient disposés sur la table, dans lesquels des fleurs poussant pour la plupart dans les serres de la Guilde se trouvaient.

Hermès entra dans la taverne, heureux de voir qu’il y avait du monde, mais ne vit ni Epi, ni Mercure, ni aucun des Seigneurs Marchands de la Guilde. Un peu déçu, il s’installa à la table réservée à l’usage des Seigneurs Marchands, demanda à ce qu’on lui apporte un petit remontant afin d’attendre ses amis. Quelques informateurs vinrent lui souffler des choses à l’oreille, ce qui le faisait parfois grimacer, d’autres fois sourire, ou bien même il éclatait de rire en les entendant. Il était impatient que ses amis arrivent enfin.

Enfin. Il était revenu. Trop de temps s’était écoulé. Maintes affaires avaient dû lui passer sous le nez, et moult rumeurs avaient résonné, échappant à ses oreilles curieuses. De nombreux évènements l’avaient retenu hors de l’enceinte de la chambre des commerces. Elle lui manquait, l’odeur des vieux coffres lui manquait, ainsi que la senteur si particulière d’une taverne pleine à craquer.
Lorsqu’il poussa l’huis de la taverne, un sourire en coin naquit sur ses lèvres. Il avait presque oublié. Khorèn se décala d’un pas sur le côté pour laisser passer un tabouret volant, le laissant s’écraser sur les dalles extérieures avant de refermer la porte. Il s’avança lentement, le regard baladeur, entouré de sa cape de voyage. Des vagabonds, des bourgeois, des rôdeurs, des clients, des marins… Autant de gens différents venus en affaire chez les marchands, un vrai modèle d’éclectisme. Certains semblaient ruinés par de trop nombreux investissements infructueux, tant dis que leurs voisins, au contraire, semblaient avoir flairé les bonnes pistes.
Au fond de la salle, il vit une longue table agrémentée d’une nappe et de quelques décorations florales. Assit seul à cette table privilégiée, Hermes sirotait un rafraîchissement. Khorèn s’approcha, et ne manqua pas de sortir son patron de ses pensées :

- Le bonjour, Hermes ! Que fais-tu ainsi seul à cette grande table ? Te sens-tu trop précieux pour te mêler au petit peuple ?

Un large sourire suivit ses paroles, alors qu’il atteignait enfin la table des Marchands de la Guilde.

Quand Khorèn lui adressa la parole, Hermès était en train de prendre une gorgée de schnaps. Il ne l’avait pas vu entrer, et quand il entendu la voix de Khorèn, il recracha son schnaps, d’étonnement. Puis il regarda Khorèn, sourit, et lui rétorqua :

-Ah, parfait ! Je pensais que j’attendrais plus longtemps tout seul, cette perspective ne me réjouissait pas tellement … Comme on dit, on ne mélange pas les pièces d’or avec les pièces en chocolat, j’applique ce principe ! :d Alors dis-moi, comment vas-tu ? Qu’as-tu fait pendant tout ce temps hors de la Guilde ? J’espère que tu nous as ramené beaucoup de contrats !

Hermès fit signe à Khorèn de s’asseoir, et fit un signe au tavernier afin qu’il se dépêche de ramener à boire pour son ami, ainsi que quelques amuse-gueule, afin d’attendre les autres et de prendre un repas plus conséquent.

Pourquoi avait-il enfilé sa plus belle chemise pour revenir ? Le magnifique jet de schnaps produit par Hermes venait d’atterrir sur le précieux tissu en soie noire, sans que Khorèn puisse l’éviter. Déçu, il prit place à la table de son supérieur. Alors que le tavernier allait répondre à la commande d’Hermes, Khorèn le retint en lui attrapant l’avant bras. Il lui fit signe de se baisser, et lui glissa au creux de l’oreille qu’il ne voulait pas d’alcool. Le tavernier ne cacha pas une moue étonnée, en s’en retourna vers le comptoir en grommelant.
Puis, Khorèn se tourna à nouveau vers Hermes, croisant ses doigts sur la table.

- Eh bien… Je t’avoue que je ne suis pas parti par plaisir, j’aurais préféré rester bien sagement à la guilde à remplir des parchemins ennuyeux. Mais il se trouve que j’ai eu quelques soucis de santé… - Il se racla la gorge avant de reprendre - Je ne peux plus boire une goutte d’alcool.

Le Tavernier revint, et posa sur leur table un jus de pomme et un assortiment de saucisson de squig, quelques cacahuètes à l’huile de triton et des endives cuites au feu de bois agrémentées de bouts de lard. Khorèn prit une des cacahuètes qu’il cassa entre ses dents.

- Mais maintenant que je suis revenu, je compte bien rattraper le temps perdu. J’ai de l’énergie à revendre, rester à la maison n’a fait qu’attiser mon envie de conclure des affaires.

Hermès tourna lentement sa tête vers Khorèn. Il le regarda avec des yeux aussi grands que les stocks de schnaps dans les caves de la Guilde.

-Pardon? Tu ne peux plus boire une goutte d'alcool? Qu'est ce qui t'es arrivé, ce n'est pas possible de ne plus pouvoir boire d'alcool!
Bon en tout cas, si tu reviens pour faire des affaires, c'est une bonne chose, ça va nous permettre de nous réimplanter sur un peu plus de continents, parce que là on occupe peu de continents

Hermès piqua un morceau de saucisson au squig dans l'assiette.

-Et dis moi, que dirais-tu de participer à Ordradhil? Nous allons être assez, et même trop!

Cette réaction était à prévoir. Khorèn haussa les épaules, feintant l’indifférence face à cette nouvelle, qui pourtant l’accablait au plus haut point.

- Je croyais cela impossible aussi, mais apparemment ça ne l’est pas. Enfin… En ce qui concerne les continents, j’attends de finir celui sur lequel je viens d’embarquer avant de chercher des clients. J’avais envie de voir comment je me débrouille au combat avant de ne plus pouvoir le faire. Et puis comme ça, en attendant, je rassemblerai quelques intéressés pour mes unités humaines.

Khorèn réfléchit un instant à la proposition d’Ordradhil. Puis répondit en attrapant une poignée de cacahuètes :

- Pourquoi pas. Ce pourrait être intéressant. Mais serions-nous présent en temps que marchands ou en temps que maîtres de guerre ? Je n’ai jamais participé à ce genre de conquête…